El Maknine Ezzine - Le joli chardonneret berce l'imaginaire et la réalité

𝑪𝒉𝒂𝒒𝒖𝒆 𝒎𝒐𝒊𝒔, 𝒍𝒆𝒔 𝑰𝒏𝒕𝒆𝒎𝒑𝒐𝒓𝒆𝒍𝒔 𝒑𝒓𝒐𝒑𝒐𝒔𝒆 𝒅𝒆𝒖𝒙 é𝒄𝒍𝒂𝒊𝒓𝒂𝒈𝒆𝒔 𝒔𝒖𝒓 𝒖𝒏𝒆 𝒒𝒖𝒆𝒔𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒑𝒐𝒔é𝒆 𝒐𝒖 𝒖𝒏 𝒎𝒐𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒗é𝒄𝒖 𝒑𝒂𝒓 𝒅𝒊𝒇𝒇é𝒓𝒆𝒏𝒕𝒔 𝒊𝒏𝒅𝒊𝒗𝒊𝒅𝒖𝒔 : 𝒒𝒖’𝒊𝒍𝒔 𝒔𝒐𝒊𝒆𝒏𝒕 𝒓𝒆𝒏𝒄𝒐𝒏𝒕𝒓é𝒔 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒂 𝒓𝒖𝒆, 𝒐𝒖 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒆 𝒎𝒐𝒏𝒅𝒆 𝒗𝒊𝒓𝒕𝒖𝒆𝒍, 𝒄𝒆 𝒔𝒐𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒍𝒆𝒖𝒓𝒔 𝒑𝒓𝒐𝒑𝒓𝒆𝒔 𝒄𝒐𝒏𝒔𝒕𝒂𝒕𝒔 𝒒𝒖𝒆 𝒔𝒆 𝒅é𝒓𝒐𝒖𝒍𝒆 𝒅𝒆𝒓𝒓𝒊è𝒓𝒆, 𝒖𝒏𝒆 𝒂𝒏𝒂𝒍𝒚𝒔𝒆 𝒕𝒆𝒎𝒑𝒐𝒓𝒆𝒍𝒍𝒆. 𝑪𝒆𝒍𝒍𝒆-𝒄𝒊 𝒆𝒔𝒕 𝒏𝒐𝒏 𝒆𝒙𝒉𝒂𝒖𝒔𝒕𝒊𝒗𝒆, 𝒆𝒍𝒍𝒆 𝒑𝒐𝒓𝒕𝒆 𝒖𝒏 𝒑𝒐𝒊𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒗𝒖𝒆, 𝒎𝒂𝒊𝒔 𝒏𝒆 𝒔𝒆 𝒗𝒆𝒖𝒕 𝒑𝒂𝒔 à 𝒄𝒂𝒓𝒂𝒄𝒕è𝒓𝒆 𝒖𝒏𝒊𝒗𝒆𝒓𝒔𝒊𝒕𝒂𝒊𝒓𝒆. 𝑬𝒍𝒍𝒆 𝒆𝒔𝒕 à 𝒍𝒂 𝒄𝒓𝒐𝒊𝒔é𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝒎𝒐𝒏𝒅𝒆𝒔 : 𝒅𝒆 𝒄𝒆𝒍𝒖𝒊 𝒒𝒖𝒊 𝒓𝒂𝒄𝒐𝒏𝒕𝒆 𝒍𝒆 𝒑𝒂𝒔𝒔é, 𝒅𝒆 𝒄𝒆𝒍𝒖𝒊 𝒒𝒖𝒊 𝒓𝒆𝒄𝒉𝒆𝒓𝒄𝒉𝒆 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒆 𝒑𝒓é𝒔𝒆𝒏𝒕, 𝒅𝒆 𝒄𝒆𝒍𝒖𝒊 𝒒𝒖𝒊 𝒊𝒎𝒂𝒈𝒊𝒏𝒆 𝒍𝒆 𝒇𝒖𝒕𝒖𝒓. 𝑪𝒆𝒔 é𝒄𝒓𝒊𝒕𝒔 𝒔𝒐𝒏𝒕 𝒐𝒖𝒗𝒆𝒓𝒕𝒔 à 𝒒𝒖𝒊 𝒔𝒐𝒖𝒉𝒂𝒊𝒕𝒆𝒓𝒂𝒊𝒕 𝒍𝒆𝒔 𝒄𝒐𝒎𝒑𝒍é𝒕𝒆𝒓 - à 𝒕𝒐𝒖𝒕𝒆𝒔 𝒍𝒆𝒔 (𝒃𝒊𝒆𝒏 𝒊𝒏𝒕𝒆𝒏𝒕𝒊𝒐𝒏𝒏é𝒆𝒔) 𝒐𝒏𝒅𝒆𝒔 𝒑𝒂𝒔𝒔𝒂𝒏𝒕𝒆𝒔.

𝑇𝑒𝑛𝑑𝑟𝑒𝑠𝑠𝑒

𝐴𝑑𝑜𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛

𝐷𝑒́𝑙𝑖𝑐𝑎𝑡𝑒𝑠𝑠𝑒

Cℎ𝑎𝑟𝑑𝑜𝑛𝑛𝑒𝑟𝑒𝑡

Le 4 février 2023 , sur Quora, Danièle revenait sur le plus beau moment de sa semaine : celui d’avoir vu réapparaître le chardonneret qui fréquentait le nichoir de son jardin. Un bonheur dont la simplicité et la douceur ne pouvait qu’appeler de s’intéresser un peu plus à ce petit animal  vif et fragile. Depuis l’Antiquité, le chardonneret, ses sonorités jazz et ses couleurs : beige, rouge, noir et brune ont séduit artistes peintres, musiciens, puis réalisateurs. Symbole de chance et de liberté, l’oiseau révèle par son chant les paysages qu’il habite. Aujourd’hui pourchassé, existera-t-il encore demain pour continuer à nous inspirer ?

Le chardonneret séduit et inspire toutes les formes d’arts depuis l’Antiquité

Le chardonneret est très présent dans les peintures religieuses. Herbert Friedmann dans un livre consacré, compte environ 500 œuvres où l’on retrouve le petit animal. L’oiseau représente de manière symbolique  l’âme depuis l’Antiquité, mais il a aussi un lien fort avec la notion de sacrifice et de rédemption. On lui a attribué la raison de son bec rouge, lorsqu’il aurait tenté d’enlever une des épines du corps de Jésus-Christ - ce faisant, c’est une petite giclée de sang qui lui serait parvenue sur la tête. 

Mais l’inspiration du chardonneret a traversé les années : en particulier “Le chardonneret” (1654), tableau de la Renaissance de Carel Fabritius, artiste hollandais disciple de Rembrandt. Lors de l’explosion de Delft, l’oeuvre disparaît, mais est retrouvée quelques années plus tard à Bruxelles par Théophile Thoré-Burger. Elle  deviendra ensuite la propriété du Musée de Mauritshuis de La Haye. En 2003, elle attire l’attention de Donna Tartt qui visite le Musée. Écrivaine, elle  publiera en 2013 “ Le chardonneret”. Le livre recevra le prix Pullitzer en 2014 et une adaption cinématographique en 2019.

Dans la vie réelle, il est également très présent sur tout le pourtour méditerranéen, au Maghreb, en France et en Italie. Jean Rolin explique d’ailleurs que ce seraient probablement l’empire Ottoman en se déployant au Moyen-Orient qui aurait diffusé la culture des chardonnerets comme petits animaux de compagnie. Il est alors très prisé dans les cours et parmi les familles les plus aisées.

 

Et devient un symbole de liberté

Alors emprisonné à la prison de Serkadji en Algérie, dans les années 1950 lors de la grève des 8 jours, , Mohamed El Badji, qui avait été arrêté pour sa proximité avec Didouche Mourad et ses convictions profondément nationalistes, compose Meknine Ezzine (Joli Chardonneret), l’un des standards de la musique chaâbi. Alors qu’il fait l’appel à la prière tous les jours, l’un des gardiens l’interpelle : “Chante, chante toi l’oiseau dans ta cage, chante chante l’amour ou la rage”.

Mohamed El Badji - Maknine Ezzine. (مقنين الزين). 

En hommage à Mohamed El Badji, l’artiste plasticien Oussama Tabti recrée en 2017 à Marseille, une installation sonore, diffusant des chants de chardonnerets, sur des enceintes posées sur des branches. C’est le rapport à la liberté que l’artiste souhaite mettre en avant : l’impression de ne pas être libre (parce qu’en étant emprisonné), mais la liberté réelle de pouvoir exercer sa confession religieuse.

La mélodie du chardonneret et son symbole continuent d’inspirer et d’être utilisés à l’instar du volet 3 des “Arabian nights” , volume 3,  de Miguel Gomes en 2015, où l’intrigue déroule la capture de pinçons et de chardonnerets destinés à être utilisés pour des concours de chant.

Le chardonneret prisé pour  l’accent de ses paysages

Mais le chardonneret est aussi prisé, car il chante avec  l’accent de son pays. Il exprime une topographie des paysages dans lesquels ils se trouvent, et c’est bien là que réside son charme - qui fait de ce petit oiseau, une véritable source de commerce. En février 2022, les agents de l’Office français de la biodiversité démantèlaient ainsi un important trafic de chardonnerets élégants dans la région de Montpellier. L’oiseau se vend sur les marchés noirs entre 30 et 50 euros la pièce - mais peut par exemple atteindre le prix de 3000 euros en Algérie dans le quartier de Bab El Oued : l’espèce ayant complètement disparu du pays.

Le chardonneret est aujourd’hui menacé et sa revente interdite en France. Le braconnage, l’agriculture intensive et les pesticides qui viennent polluer sa nourriture sont les principaux défis à la survie de ce petit oiseau.  Habitué des forêts, il  subsiste désormais en milieu urbain, lorsque les conditions sont propices ou dans les jardins où l’on retrouve des plantes herbacées et des fleurs colorées - comme celui de Danièle ;). 

Son chant continue d’être l’un des plus appréciés - lors du Choeur de l’aube - une journée internationale au Royaume-Uni dédiée aux chants des oiseaux le premier dimanche du mois de mai.

Parce que l’espèce est menacée, et principalement par la traque humaine, et nos modes de cultures qui viennent polluer sa nourriture, imaginer le futur du chardonneret, commence d’abord par imaginer sa fin, et par un monde sans oiseaux. On évoque de plus en plus, leur disparition progressive, le “silence des campagnes” qui s’amorce peu à peu. C’est donc tout un pan de sonorités, de couleurs et d’appels aux imaginaires que nous risquons de voir disparaître, au fil des années si nous ne prenons ni le temps, ni le soin de les protéger.

Des chardonnerets en mer du Nord

Mais cette vision peut-être partiellement relativisée : pour Jérémy Dupuy, photographe animalier, les oiseaux ont une bonne capacité d’adaptation aux évolutions de leurs environnements. Certains ont d’ailleurs cessé de migrer en raison du réchauffement climatique - un phénomène qui pourrait toucher certaines espèces de chardonnerets - l’oiseau n’étant que partiellement migrateur. Mais l’originalité pourrait résider dans son déplacement à moyen - long terme, vers des pays situés plus au Nord en raison d’une nourriture plus difficile à trouver. L’on pourrait alors imaginer de nouveaux mélanges de sonorités, un déplacement d’inspirations du sud vers le nord,  pour un nouveau mixage de couleurs et d’aspérités. Celui qui chante la Méditerranée, viendrait désormais nous conter les trésors de la  mer du Nord. 

Mais cette ouverture n’est possible que si nous développons notre capacité à mieux les protéger de manière individuelle, à rendre leurs environnements dans nos jardins et espaces verts plus propices à leur existence. L’héritage du chardonneret doit aussi être partagé et diffusé : il n’est pas qu’un imaginaire - ses sonorités mériteraient à être mieux connues, avec des choeurs de l’aube partagés dans les pays, ou des installations plus fréquentes pour faire perdurer leurs chants dans nos imaginaires communs.