Pardonnez-vous nos dettes : si les parents s’arrêtent de boire, les enfants trinqueront-ils quand même ?

𝑪𝒉𝒂𝒒𝒖𝒆 𝒎𝒐𝒊𝒔, 𝒍𝒆𝒔 𝑰𝒏𝒕𝒆𝒎𝒑𝒐𝒓𝒆𝒍𝒔 𝒑𝒓𝒐𝒑𝒐𝒔𝒆 𝒅𝒆𝒖𝒙 é𝒄𝒍𝒂𝒊𝒓𝒂𝒈𝒆𝒔 𝒔𝒖𝒓 𝒖𝒏𝒆 𝒒𝒖𝒆𝒔𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒑𝒐𝒔é𝒆 𝒐𝒖 𝒖𝒏 𝒎𝒐𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒗é𝒄𝒖 𝒑𝒂𝒓 𝒅𝒊𝒇𝒇é𝒓𝒆𝒏𝒕𝒔 𝒊𝒏𝒅𝒊𝒗𝒊𝒅𝒖𝒔 : 𝒒𝒖’𝒊𝒍𝒔 𝒔𝒐𝒊𝒆𝒏𝒕 𝒓𝒆𝒏𝒄𝒐𝒏𝒕𝒓é𝒔 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒂 𝒓𝒖𝒆, 𝒐𝒖 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒆 𝒎𝒐𝒏𝒅𝒆 𝒗𝒊𝒓𝒕𝒖𝒆𝒍, 𝒄𝒆 𝒔𝒐𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒍𝒆𝒖𝒓𝒔 𝒑𝒓𝒐𝒑𝒓𝒆𝒔 𝒄𝒐𝒏𝒔𝒕𝒂𝒕𝒔 𝒒𝒖𝒆 𝒔𝒆 𝒅é𝒓𝒐𝒖𝒍𝒆 𝒅𝒆𝒓𝒓𝒊è𝒓𝒆, 𝒖𝒏𝒆 𝒂𝒏𝒂𝒍𝒚𝒔𝒆 𝒕𝒆𝒎𝒑𝒐𝒓𝒆𝒍𝒍𝒆. 𝑪𝒆𝒍𝒍𝒆-𝒄𝒊 𝒆𝒔𝒕 𝒏𝒐𝒏 𝒆𝒙𝒉𝒂𝒖𝒔𝒕𝒊𝒗𝒆, 𝒆𝒍𝒍𝒆 𝒑𝒐𝒓𝒕𝒆 𝒖𝒏 𝒑𝒐𝒊𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒗𝒖𝒆, 𝒎𝒂𝒊𝒔 𝒏𝒆 𝒔𝒆 𝒗𝒆𝒖𝒕 𝒑𝒂𝒔 à 𝒄𝒂𝒓𝒂𝒄𝒕è𝒓𝒆 𝒖𝒏𝒊𝒗𝒆𝒓𝒔𝒊𝒕𝒂𝒊𝒓𝒆. 𝑬𝒍𝒍𝒆 𝒆𝒔𝒕 à 𝒍𝒂 𝒄𝒓𝒐𝒊𝒔é𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝒎𝒐𝒏𝒅𝒆𝒔 : 𝒅𝒆 𝒄𝒆𝒍𝒖𝒊 𝒒𝒖𝒊 𝒓𝒂𝒄𝒐𝒏𝒕𝒆 𝒍𝒆 𝒑𝒂𝒔𝒔é, 𝒅𝒆 𝒄𝒆𝒍𝒖𝒊 𝒒𝒖𝒊 𝒓𝒆𝒄𝒉𝒆𝒓𝒄𝒉𝒆 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒆 𝒑𝒓é𝒔𝒆𝒏𝒕, 𝒅𝒆 𝒄𝒆𝒍𝒖𝒊 𝒒𝒖𝒊 𝒊𝒎𝒂𝒈𝒊𝒏𝒆 𝒍𝒆 𝒇𝒖𝒕𝒖𝒓. 𝑪𝒆𝒔 é𝒄𝒓𝒊𝒕𝒔 𝒔𝒐𝒏𝒕 𝒐𝒖𝒗𝒆𝒓𝒕𝒔 à 𝒒𝒖𝒊 𝒔𝒐𝒖𝒉𝒂𝒊𝒕𝒆𝒓𝒂𝒊𝒕 𝒍𝒆𝒔 𝒄𝒐𝒎𝒑𝒍é𝒕𝒆𝒓 - à 𝒕𝒐𝒖𝒕𝒆𝒔 𝒍𝒆𝒔 (𝒃𝒊𝒆𝒏 𝒊𝒏𝒕𝒆𝒏𝒕𝒊𝒐𝒏𝒏é𝒆𝒔) 𝒐𝒏𝒅𝒆𝒔 𝒑𝒂𝒔𝒔𝒂𝒏𝒕𝒆𝒔.







 





𝑷𝒂𝒓𝒄𝒆 𝒒𝒖'𝒐𝒏 𝒏𝒆 𝒔𝒂𝒊𝒕 𝒋𝒂𝒎𝒂𝒊𝒔 𝒕𝒓𝒐𝒑
𝑫𝒆 𝒒𝒖𝒊 𝒂 𝒓𝒂𝒊𝒔𝒐𝒏 𝑫𝒆 𝒒𝒖𝒊 𝒂 𝒕𝒐𝒓𝒕 
𝑷𝒂𝒓𝒄𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝒍𝒆 𝒎𝒂𝒏𝒒𝒖𝒆 𝒅𝒆 𝒕𝒓𝒂𝒏𝒔𝒑𝒂𝒓𝒆𝒏𝒄𝒆
𝑷𝒂𝒓𝒄𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝒍𝒂 𝒓𝒆𝒕𝒓𝒂𝒊𝒕𝒆
𝑷𝒂𝒓𝒄𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝒏𝒐𝒔 𝒆𝒏𝒇𝒂𝒏𝒕𝒔 𝒅𝒆 𝒅𝒆𝒎𝒂𝒊𝒏 ?
𝓟𝓪𝓻𝓬𝓮 𝓺𝓾𝓮 𝓵𝓪 𝓭𝓮𝓽𝓽𝓮


Le 7 février sur Quora, Eliane   s’interrogeait : “mais comment diable les pays se sont-ils embourbés dans une dette interminable et de plus en plus énorme, et à qui ces dettes sont-elles dûes ?” A l’heure où les manifestations en France contre l’allongement de l’âge de la retraite se multiplient, le ressenti est mitigé : ceux qui nous ont précédé auraient-ils vécu un âge d’or et devrions-nous, pour protéger nos prochains, accepter de nous contraindre et limiter nos dettes ? *

*Le présent article ne traitera pas de la dette environnementale.
















Mais comment diable les pays se sont-ils embourbés dans une dette interminable et de plus en plus énorme, et à qui ces dettes sont-elles dûes ? 

Selon l’INSEE, en France, à la fin du dernier semestre 2022, la dette publique par habitant représentait 43 060 € par habitant. Nous avons donc là un premier ordre d’idée, mais cela ne nous dit pas grand chose de ce que cela représente, et comment ce montant nous est tous tombé sur le nez. Un détour par l’histoire s’impose pour comprendre ce mécanisme.

David Graeber,  dans son livre La dette - 5000 ans d’histoire - explique que la création de la monnaie est lié au système d'endettement qui existait en Mésopotamie en 5000 av J.-C. Sur une tablette d'argile, étaient inscrites des obligations de paiement scellées du sceau de l'empereur. Les individus s'échangeaient ensuite ce qui s’apparentait à des reconnaissances de dettes pour acquérir des biens auprès d'autres individus.  Contrairement aux relations de prêt qui existaient entre individus depuis des temps ancestraux - l’emprunt public au service d’une réalisation, qu’il s’agisse d’un projet de construction ou de financement de guerre apparaît plus tardivement. Pour Earl J Hamilton, “la dette publique est l’un des quelques rares phénomènes économiques importants qui ne poussent pas leurs racines jusqu’au monde antique”. 

C’est en Angleterre, au XIIème siècle, au sein du monastère d’Evesham que s’esquisse pour la première fois, la notion de dette publique. Le moine, Thomas de Malborough incite ses confrères à contracter une dette importante, pour financer un procès se tenant contre l’évêque voisin de Worcester. Le prêt ne reporte pas sur les individus, mais sur le monastère, qui contrairement à ces derniers était supposé avoir une vie éternelle.



Par la suite, les Etats, principalement européens, ont adopté des premières formes d’endettement public pour financer des guerres - notamment au sein de cités italiennes. Mais aussi pour financer de grands travaux et de grands projets, peu rentables, mais qui pouvaient améliorer le quotidien des populations.

L’endettement apparaît ainsi comme un moyen de croissance économique, puis devient alors un facteur de force pour certains pays : selon Eric Toussaint, dans son livre le Système dette,  : “ Dans la seconde moitié du XIXème siècle, plusieurs pays tels que la Tunisie, l’Egypte, incapables de rembourser leurs dettes, sont passés sous domination coloniale française et anglaise.”

Mais plus tard,  le XXème siècle est traversé par des écoles économiques contraires, la première partie étant  marquée entre autre, par la pensée de David Ricardo, pour qui la dette est négative et doit être remboursée en limitant les dépenses des institutions. Plus tard, pour Keynes, l’endettement sera considéré comme positif, utilisé comme outil de relance, pour augmenter le PIB d’un Etat.

On constate aussi que ce sont  les banques qui ont poussé les Etats à s’endetter - et la charge de la dette - continuant de s’accroître est devenue une cause d’endettement pour de nombreux Etats. Les stratégies de ces établissements ont parfois conduit à de véritables désastres particulièrement critiquables, comme par exemple en Grèce en 2010 où l’on retiendra que la situation aura été celle : "(...)  d’acheter une assurance incendie pour la maison d’un voisin où vous avez mis le feu "


Reprenons les propos d Eliane : “(...) et si tu hérites de biens, d’une fortune, de capitaux : yey la belle vie, tu vas perpétuer cette dominance de classe en louant le dieu capitalisme et soutenir les fameux "marchés" cette entité invisible qui semble décider du sort du monde comme Dieu.”

Si l’on regarde du côté des religions, il existe une idée marquée selon laquelle, les individus naissants doivent leur vie à un ou plusieurs Dieux. Des ordres sociaux, usages, pratiques et coutumes se sont ainsi développés selon lesquels le remboursement d’une dette permet de pouvoir assurer l’équilibre entre Dieu et les hommes et entre le collectif des Hommes. D’ailleurs, dans le nouveau testament la métaphore de la dette pour désigner le péché est omniprésente. Jésus présente des histoires d’endettement et d’obligation, comme moyen d’illustrer la dynamique du péché et du pardon. Ce qui est passé d’un “pardonnez-nous nos péchés” est devenu “pardonnez-nous nos dettes”.





Il  existe un cadre européen des finances publiques dont la construction historique est particulièrement bien expliquée ici.

Il est destiné à la gestion des politiques monétaires budgétaires des pays ayant adopté l’euro. Mais il a connu de nombreuses critiques - notamment lors des crises financières de 2008 et lors de la crise du covid19, les pays concernés étant devenus incapables de respecter les règles instaurées par les traités. Le dernier plan de relance alors mis en place “Next Generation EU” a introduit un concept qui jusque-là n’existait pas : celui d’un endettement commun entre les différents Etats. Aussi, en matière de gestion de la dette, le focus se porte sur la stabilisation du ratio de l’endettement par rapport au PIB : il s’agit donc de trouver un équilibre entre les dépenses publiques et la croissance économique. C’est ce qui vient justifier en partie - en partie - l’attention et le discours du gouvernement sur la réduction des dépenses publiques. Or comme le soulignent Eric Bocquet et Sylvie Vermeillet dans un rapport fait au Sénat

Seule l'application d'un  remède de cheval consistant à contracter brutalement les dépenses ou à alourdir considérablement la fiscalité, voire la combinaison des deux, pourraient réduire fortement les déficits publics, mais en comportant des risques sociaux, politiques, mais aussi économiques, à travers une contraction de la demande intérieure.”

En février 2023, la réforme des retraites marque l’actualité depuis janvier, l’allongement de l’âge de la retraite est présenté comme une mesure permettant de venir financer un régime qui serait amené à être déficitaire, insoutenable, dans le futur. Le calcul paraît simple : les caisses de retraite pourraient encaisser des cotisations plus longtemps, et paieraient des retraites moins longtemps. Mais les débats sont là : est-ce seulement juste ? Est-ce seulement consistant au regard d’autres mesures économiques pouvant être prises (augmentation de la fiscalité des entreprises/ des plus hauts revenus, lutte contre l’évasion fiscale accrue..) ? Et est-ce la meilleure des manières de pérenniser ce système à l’heure où  les prévisions macroéconomiques sur les années à venir demeurent difficiles à prévoir, voire contradictoires  à l’instar des altermoiements entre le COR et le haut conseil des finances publiques ?






C’est donc la dette au  futur qu’il convient alors d’interroger : il est de bon sens de dire que la dette actuelle pénaliserait les générations futures. Mais l’endettement, avec une perspective plus philosophique et anthropologique  peut aussi être considéré comme le lien qui est permis entre les générations et qui les fait prospérer : un enfant ne se construit pas seul. 


Pour Nathalie Sarthou-Lajus dans L’éthique de la dette : “La dette est en effet indissociable de la question des origines. Se demander avec saint Augustin : « Qu’avons-nous que nous n’ayons point reçu de vous ? », c’est reconnaître que l’homme ne peut seul se rendre créateur de lui-même”.  L’on reconnaît ici donc que la dette n’est pas forcément négative, qu’elle peut permettre l’épanouissement de l’Homme. Dès lors, la dette sort du cadre de la culpabilité qui lui est associée. Xavier Timbeau explique aussi que la dette d’aujourd’hui peut contribuer à un meilleur niveau de vie futur - elle est dans ce cas le choix d’un arbitrage d’une vision économique à un moment T au service d’une vision sociale de long terme. En d’autres termes, elle est le reflet d’un choix de perspective de société. Les Etats et les hommes n’ont d’ailleurs pas la même limite temporelle en matière d’endettement - de fait, à l’instar de la vision portée par les moins d’Evenstham, l’emprunt de l’Etat a une durée intemporelle - les règles de non-dépassement existantes sont imposées par les organisations gouvernementales. La dette d’aujourd’hui correspond donc à ce qu’on va laisser d’un état [de société] futur.

Reprenons l’exemple de la retraite - si la réforme est adoptée - l’allongement de l’âge de départ à la retraite à 64 ans validé, nous ne pouvons que penser à l’état que cette mesure pourrait susciter et à ses effets. Dans un premier temps, il apparaît bien que que ce serait l’effort de tous qui contribuerait pourtant au maintien du confort de quelques-uns : pouvoir s’arrêter de travailler pendant quelques mois, quelques années pour “faire une pause”, racheter des trimestres pour pouvoir avoir plus de confort sera l’apanage de ceux qui parviennent à vivre sans tirer l’ensemble de leurs revenus de leur travail. Comment ne pas voir ici “ la majestueuse égalité de la loi” créer des écarts de niveaux de vie si importants entre les citoyens. 

Cet allongement pourrait aussi produire de nouveaux effets : un refus de travailler, un recours accru au chômage parmi les plus jeunes, de nouvelles modalités de consommation, d’habitation, de vivre-ensemble pour refuser un modèle de société qui ne fonctionne qu’à travers un modèle monétaire . Mais aussi une paupérisation accrue sur les individus qui n’auront pas le choix, que de continuer à travailler pour subsister.

 En 2060, nous ne savons pas quel évènement - à l’instar de ce qui s’est passée avec la crise du covid19- aura pu se produire, et venir encore alourdir cet “endettement public”. On pourrait alors s’essayer à imaginer une société encore plus fragmentée que la dette aurait crée :

 

•   Celle qui vivrait avec de nouveaux modes de vie : plus proche de la nature, en dehors des institutions établies, qui aurait recréer ses propres règles en dehors des règles existantes et qui existerait de plus en plus suite au constat d’une perte de confort accrue au fil des années, au sentiment développé que rien n”est plus comme avant” - mais guidée par ceux qui “pensent pouvoir faire autrement”;

•   Celle qui continuerait à consommer, celle qui continuerait à trinquer tous les jours - au sens littéral du terme - plus restreinte, mais plus équipée technologiquement ;

•  Celle qui vivrait pour subsister, trop alourdie pour échapper au système institutionnel imposé, trop parasitée par des considérations économiques et sociétales pour faire un pas de côté. A jeûn, elle serait au service de ceux pour qui rien n’aura changé

Une 𝓯𝓻𝓪𝓰𝓶𝓮𝓷𝓽𝓪𝓽𝓲𝓸𝓷 qui ne peut que laisser entrevoir la dilution progressive des centres de pouvoirs et prises de décisions.

Mais à chaque esprit, sa philosophie, comme le soulignait Charles Baudelaire dans l’un de ses écrits

« Le billet de 1 200 francs était payé ; chacun était parfaitement satisfait, excepté l'éditeur, qui l'était presque. Et c'est ainsi qu'on paie ses dettes... quand on a du génie. »




Comment on paie ses dettes quand on a du génie : https://www.babelio.com/livres/Baudelaire-Comment-on-paie-ses-dettes-quand-on-a-du-genie/800849 

Pour un rapport détaillé sur l’avenir de la dette: https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-139-notice.html 

Pour un rapport religieux et philosophique à la dette : https://www.cairn.info/revue-communio-2018-2-page-37.htm 

Le plan de relance européen post-covid Next Generation EU : https://next-generation-eu.europa.eu/index_fr 

David Graeber, la dette - 5000 ans d’histoire : https://www.actes-sud.fr/node/55181 

Nathalie Sarthou-Lajus dans L’éthique de la dette 

Xavier Timbeau : solidarité intergénérationnelle de la dette publique : https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2011-1-page-191.htm#no1 

 

 

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