Fragment 31 : provocante tendresse
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Mais nous n’avons pas les rรฉcits intimes, les journaux de bords de nos ancรชtres compilรฉs dans “Un Grand Journal des รmotions Humaines” en accรจs libre. Ce que l’on retrouve de la poรฉsie ou de la mythologie grecque ancienne nous enseigne sur les premiers รฉcrits sur la tendresse. Les descriptions du sentiment se situent autour du VIIรจme siรจcle avant Jรฉsus-Christ (notamment dans Les papyrus d'Oxyrhynque) sous la plume de la poรฉtesse grecque Sappho dont il n’existe plus aujourd’hui que des fragments de ses รฉcrits. Le fragment 31 en particulier est rรฉputรฉ comme รฉtant le premier ร รฉvoquer l’intime et la tendresse.Il y est question des relations d’amour, de virilitรฉ, et du rapport aux Dieux. Mais comme le souligne Stรฉphane Bocquet il est quasiment impossible de pouvoir comparer la poรฉsie archaรฏque et la poรฉsie moderne parce que : “ on ne peut pas comprendre la poรฉsie grecque archaรฏque comme la poรฉsie moderne - Sappho ne raconte pas sa vie. C’est de la musique, c’est de la danse et c'est tout ce qui va autour, qui est une inscription dans la vie de la citรฉ. Les poรจmes s'inscrivaient dans des cultes (pour honorer les dieux de la citรฉ), ou bien dans des rites (mariages ect.). La poรฉsie ร l’รฉpoque รฉtait une cรฉlรฉbration des familles, des citรฉs et on ne peut pas en faire l’expression d’un ego qui raconterait des sentiments.” Alors soit, mais n’empรชche que jusqu’ici, la tendresse est donc interprรฉtรฉe ร travers des poรจmes qui abordent des thรจmes trรจs prรฉcis tels que la virilitรฉ et les relations intimes et amoureuses - par ailleurs de celles qui concernent aussi les passions entre femmes. Et Sappho comme un personnage controversรฉ accusรฉ ร travers les siรจcles d’”attirance honteuse”. Dans ce qu’on nous raconte, l’on voit se dessiner un premier lien entre tendresse, expression d’une certaine fรฉminitรฉ et rapport au masculin compliquรฉ. C’est la thรจse en tout cas dรฉfendue par Marie-Jo Bonnet, historienne de l’art et de l’homosexualitรฉ fรฉminine, pour qui l’enseignement de Sappho auprรจs des jeunes filles consistait ร les libรฉrer d’une sociรฉtรฉ sur l’รฎle de Lesbos emprise du poids d’un patriarcat. Comment j'imagine l'รฉcole des muses dirigรฉe par Sappho Plus tard, les mรฉtamorphoses d’Ovide abordent la tendresse inspirรฉe des relations amoureuses (souvent tragiques), comme celle de Pyrame et de Thisbรฉ, qui donne lieu ร la reprรฉsentation de la couleur rouge pour l’amour, ou bien celle de Daphnรฉ et Apollon - ce dernier pour รฉvoquer son souvenir commenรงant alors ร porter une couronne de lauriers. Ou bien encore, celle de Baucis et Philรฉmon, qui, pour rester ensemble pour toujours, obtiennent des Dieux (Jupiter et Mercure) d’รชtre transformรฉs en arbres. (interesting choice) Si l’on fait le bilan ร ce moment, la tendresse est alors faite de poรจmes et de reprรฉsentations ร travers la couleur : le rouge foncรฉ, la nature avec les arbres et les lauriers.. C’est peut-รชtre le basculement qu’รฉvoque par analogie Stรฉphane Rocquet lorsqu’il explique que Sappho ne parlait pas d’elle et qu’on ne peut pas la comprendre avec nos codes actuels. Les nรดtres et nos manifestations de la tendresse, sont manifestement d’abord tournรฉs vers nos intรฉrieurs. Mais la tendresse a รฉtรฉ bien plus tard รฉtudiรฉe en psychologie ร diffรฉrents niveaux. John Bowlby , psychologue britannique est connu pour ses travaux sur la thรฉorie de l'attachement et son influence sur le dรฉveloppement รฉmotionnel des enfants. Sa thรฉorie est basรฉe sur l'idรฉe que les enfants ont un besoin innรฉ de former des liens d'attachement avec les adultes, en particulier leurs parents, afin de se sentir en sรฉcuritรฉ et de se dรฉvelopper de maniรจre saine. Il y explique alors que les soins tendres et aimants aident les enfants ร dรฉvelopper des relations interpersonnelles positives tout au long de leur vie. Mais cette attention affective portรฉe aux enfants n’est pas quelque chose qui va de soi. Si elle apparaรฎt aujourd’hui de maniรจre naturelle, les siรจcles prรฉcรฉdents ont รฉtรฉ marquรฉs par des principes, croyances, stรฉrรฉotypes de genres transmis dans l’รฉducation et guidรฉs par des prรฉceptes diffรฉrents : passer trop de temps avec les enfants pourrait les rendre trop dรฉpendants et peu prรฉparรฉs ร leur vie future. Ce sont des idรฉes que l’on retrouve distillรฉes dans les ลuvres de Rousseau ร travers Emile ou de l’รฉducation ou bien encore chez Auguste Comte dans la loi des trois รฉtats. L’on voit ainsi la tendresse apparaรฎtre comme รฉtant une faiblesse, une faille รฉmotionnelle - parce que manifestation de douceur et de vulnรฉrabilitรฉ qui serait prรฉjudiciable pour affronter les dรฉfis de la vie. Pour autant, comme le souligne Charles Pรฉpin, philosophe, la tendresse est ce qui devient essentiel lorsque les temps deviennent plus durs, parce que la tendresse a l’art d’รชtre une presque provocation, de dรฉfier le dur, de rappeler que nous devons prendre soin de nos vies. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le tube de Marie Laforรชt “ La tendresse” a connu un succรจs viral sur les rรฉseaux sociaux en pleine pรฉriode de pandรฉmie lors de sa reprise par une quarantaine d’artistes. Ou s’il a existรฉ pendant prรจs d’une dizaine d’annรฉes un festival de la tendresse sous la houle de Jacques Salomรฉ ร Avignon. Et que dire de la nรฉcessitรฉ soulignรฉe par Cรฉline Riviรจre du besoin du toucher et de tendresse des personnes (en particulier) les plus vulnรฉrables de notre sociรฉtรฉ.
Rรฉcemment, le spectacle de Julie Barbรจs “ Tendresse” qui allie textes, choeur, danses contemporaines et classiques interroge la masculinitรฉ des hommes (au sens du genre) d’aujourd’hui. Selon elle, il existe pour les 25-30 ans un “avant” et un “aprรจs” #MeToo qui rend le positionnement de ces derniers plus flou : libรฉrateur ร la fois, mais source de confusion aussi dans un monde qui continue d’รชtre marquรฉ par les stรฉrรฉotypes de genre en dรฉpit des victoires et la place prise par les discours des mouvements fรฉministes. Ces derniรจres s’interrogent d'ailleurs de plus en plus sur l’homme (au masculin) dans nos sociรฉtรฉs et son rapport ร l’amour et aux relations: que ce soit du cรดtรฉ de Bell Hooks dans La volontรฉ de changer. Les hommes, la masculinitรฉ, l’amour ou bien dans le livre de Lรฉane Alestra « Les hommes hรฉtรฉros le sont-ils vraiment ? » et qui vient dรฉcortiquer le poids de la virilitรฉ dans les rapports entre hommes-hommes. Les deux รฉcrits tรฉmoignent de la persistance de l’injonction ร la force et ร la virilitรฉ - comme si les rรฉcits archaรฏques continuaient de traverser les รขges. Montrer ses dรฉsolations, ses ruptures et ses doutes ne se raconterait pas encore aussi facilement. “Et vous avez dรฉjร dit je t’aime ร un ami” ? “ Oui, mais j’avais beaucoup bu”. Mais l’Homme entretient aussi de la tendresse avec le vivant, voire avec les objets de son quotidien. L'ลuvre indรฉmodable et qui fรชte son quatre-vingtiรจme anniversaire ce mois-ci, c’est celle du Petit Prince. A travers ses rencontres avec le renard, la rose et le gรฉographe, on comprend vite que “ L’essentiel est invisible pour les yeux” et c’est peut-รชtre รงa qu’est en partie la tendresse. On la retrouve รฉgalement dans la nouvelle de Jean Giono (l’Homme qui plantait des arbres) (iknow again) avec le personnage d'Elzรฉard Bouffier, le berger qui consacre ses journรฉes ร planter des chรชnes en Provence avec un soin extrรชme, jusqu’ร en reconstituer une grande forรชt, puis redonner de la vie aux villages dรฉsolรฉs des alentours.. "Je ne sais pas si ce qu'il disait รฉtait vrai, mais je sais bien que sa prรฉsence en ce lieu avait dissipรฉ les ombres et les malรฉfices. Il รฉtait un รชtre qui les aimait. Il les aimait avec la mรชme force que celle qu'il mettait ร les planter. C'รฉtait pour cela qu'il avait l'autoritรฉ de la bontรฉ, de la santรฉ et de la joie." Jean Giono, l’homme qui plantait des arbres, 1954 Le futur (en utopie) d’une provocante tendresse c’est celle qui dรฉsarรงonnerait parce qu’elle serait lร oรน on ne l’attend pas : elle ne serait plus considรฉrรฉe comme le palliatif ร une perte de dรฉsir d’un monde qu’on soignerait en attendant sa fin mais comme le prรฉ-requis pour pouvoir en dรฉsirer un nouveau. Cette idรฉe ne se serait pas imposรฉe comme un coup d'รtat la dรฉcrรฉtant, elle serait venue petit ร petit, de l’apport de chacune des communautรฉs humaines. Elle n’aurait pas รฉradiquรฉ les accรจs de violence, d’agressivitรฉ et les souffrances, mais elle serait venue dissiper la honte, la gรชne et la culpabilitรฉ d’en faire part - elle serait devenue le nouveau courage, ce vers quoi la sociรฉtรฉ serait appelรฉe ร tendre. Sans que l’on ne sache pourquoi, comme un je-ne-sais quoi venu d’on ne sait oรน, nous aurions d’abord vu apparaรฎtre dans toutes les villes du monde des guichets de la tendresse. Tenus par des habitants, ils auraient connu leur petit succรจs en promettant l’expรฉrience de la communication avec la nature : d’abord pour nous la faire รฉcouter, puis pour pouvoir lui parler. Et c’est cette derniรจre qui nous aurait demandรฉ de faire preuve de tendresse. Envers elle et pour nous. Affiches, rรฉseaux sociaux, manifestations, piรจces de thรฉรขtre, films, concerts, rรฉcitations de poรจmes, lyrisme de rue, expositions, partenariats en tout genre - peu ร peu la sociรฉtรฉ entiรจre se serait cristallisรฉe autour de cette nouvelle philosophie. On aurait alors vu des dรฉclinaisons de la tendresse en entreprise : des expรฉrimentations inรฉdites qui valoriseraient la lenteur et la libรฉration des salariรฉs. Ne pas dรฉpasser 30 heures de travail par semaine au risque de se voir imposer des pรฉnalitรฉs de rรฉmunรฉration et consacrer des pรฉriodes ร ne rien faire pour susciter l’imagination. On serait alors en plein laboratoire d'expรฉriences humaines et sociales avec des indicateurs qui ne seraient plus chiffrรฉs et des effets ร observer. Mais c’est surtout au sein des mรฉtiers du soin, que la tendresse aurait รฉtรฉ รฉrigรฉe comme valeur cardinale. Les personnels de nos รฉtablissements de santรฉ ne seraient plus soumis ร des contraintes horaires intenses et matรฉrielles. On aurait des vrais accueils, avec des vrais moments d’รฉchange et peut-รชtre mรชme de nouveaux mรฉtiers pour prendre soin des vulnรฉrabilitรฉs. On aurait aussi moins de lieux de santรฉ, notamment au regard de ceux accueillant auparavant les personnes plus รขgรฉes. Parce qu’on aurait aussi appris ร mieux vieillir ensemble - qu’on aurait discutรฉ de la vieillesse tout au long de nos vies en ne prรฉtendant jamais qu’elle n’existait pas et que la jeunesse รฉtait la seule partie intรฉressante. On aurait ainsi rรฉussi ร crรฉer plus d’habitats partagรฉs, parfois mรฉdicalisรฉs, avec des soignants effectuant des visites ร domicile. On aurait enfin rรฉussi ร prendre soin de ceux qui prennent soin de nous, sans crรฉer de crises รฉconomiques majeures - imaginez un peu, ce serait fou. A l’รฉcole, on aurait rรฉappris ร se toucher : de part les mots de part les gestes. On aurait redirigรฉ nos exigences : en apprenant aux enfants ร se crรฉer leurs propres mondes et leurs propres voies, sans les forcer ร adopter des pensรฉes et des prรฉjugรฉs qui ne se valent (plus) d’ annรฉe en annรฉe. On aurait laissรฉ tomber les comparaisons, les notes et on y apprendrait aussi beaucoup ร prendre soin : de soi, des autres, et de tout ce qui vit. Dans nos relations : amicales, amoureuses, familiales, le climat ambiant nous aurait profitรฉ. Il nous aurait a minima, laissรฉ le temps de construire des vrais liens, enlevรฉ la part de stress des quotidiens, les attentes dรฉmesurรฉes et les injonctions irraisonnรฉes. La question politique ne se poserait plus cela va de soi - nous aurions d'abord tout aboli, re-questionnรฉ et re-rรฉparti nos ressources, intรฉgrรฉ l'ensemble des espรจces dans nos prises de dรฉcision et recrรฉe de nouvelles organisations - imaginez un peu encore, ce serait fou. Sources Geogres Vigarello - Histoire de nos รฉmotions Sappho - Fragment 31 Rรฉflexions de Sappho - here Cรฉline Riviรจre - sur le besoin de tendresse Jacques Salomรฉ - Le grand livre de la tendresse
- Quel serait votre dernier souvenir de tendresse ? - Comment imagineriez-vous un monde avec plus de tendresse ? Et ร l'inverse, quels en sont/seraient les freins ? |
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